Avis de la Cour de cassation sur le barème d’indemnités prud’homales
La formation plénière de la Cour de cassation a rendu le 17 juillet 2019 un avis, à la demande de deux conseils de prud’hommes, concernant le barème d’indemnités prud’homales prévu par l’article L 1235-3 du code du travail. Une vingtaine de conseils de prud’hommes s’étaient rebellés contre ce barème d’indemnités mis en place dans le cadre des ordonnances réformant le droit du travail (dites ordonnances Macron). Explication sur le barème, sa contestation et l’avis la Cour de cassation.
Le barème d’indemnités prud’homales
Lorsque le licenciement pour motif économique ou autre est jugé sans cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise. Mais si la réintégration est impossible ou refusée par l’une ou l’autre des parties (ce qui est généralement le cas), le juge prud’homal octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dans les limites du barème d’indemnités prud’homales (article L 1235-3 du code du travail). Celui-ci fixe des montants minimums et maximums par année d’ancienneté. Les montants maximums varient, selon l’ancienneté du salarié, entre un et vingt mois de salaire brut. Toutefois, lorsqu’il y a nullité du licenciement, le barème n’est pas applicable (article L 1235-3-1 du code du travail).
La conformité du barème aux engagements internationaux de la France a été contestée. La Cour de cassation sollicité de donner son avis, a dit que le barème n’était pas contraire aux engagements européens et internationaux de la France et étaient donc valide (Avis du 17 juillet 2019).
Un barème d’indemnités prud’homales voulu et contesté
Le barème d’indemnités prud’homales a été voulu par Emmanuel Macron pour supprimer des freins à l’embauche en CDI et lutter contre le chômage de masse. Les employeurs craignaient le risque d’être condamné à une lourde indemnité prud’homale par une juridiction considérée comme aléatoire, en cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse, suite à un problème avec un salarié, ou pour un motif économique.
Depuis son instauration par une des ordonnances travail du 22 septembre 2017, une vingtaine de conseils de prud’hommes avaient refusé de respecter les plafonds du barème, pourtant prévu par la loi. L’argument juridique avancé était que le barème aurait contrevenu à l’article 24 de la Charte sociale européenne et à l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail. Selon ces conseils de prud’hommes, le barème aurait restreint le pouvoir d’appréciation du juge et rendu impossible d’attribuer dans tous les cas une indemnisation compensant réellement le préjudice. Dans ce contexte, il était donc urgent que la Cour de cassation, qui est la juridiction la plus élevée de l’ordre judiciaire, émette un avis.
L’avis de la Cour de cassation
La Cour de cassation a voulu donner une très grande force à son avis, en le donnant de manière solennelle en formation plénière et non par la seule chambre sociale.
La Cour a aussi rappelé que le Conseil constitutionnel avait déjà déclarées conformes à la Constitution la loi ratifiant les ordonnances de 2017 (dont le barème d’indemnités prud’homales).
La Cour de cassation s’est déclarée compétente pour répondre à la demande d’avis
La Cour de cassation s’est prononcée sur sa propre compétence en indiquant que les demandes d’avis, ne nécessitant pas une analyse d’éléments de faits, étaient recevables. Jusque récemment, la Cour de cassation considérait que la question de la compatibilité d’une disposition de droit interne avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ou avec d’autres normes internationales, notamment la convention n°158 de l’Organisation internationale du Travail (OIT), ne relevait pas de la procédure d’avis.
La Cour de cassation valide le barème d’indemnité prud’homale
La Cour de cassation a tranché le débat en validant le barème d’indemnité prud’homale prévu à l’article L 1235-3 du code du travail.
Selon l’avis émis par la Cour de cassation :
- les dispositions relatives au barème d’indemnités ne sont pas dans le champ d’application de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
- les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
- le barème est compatible avec l’article 10 de la Convention n° 158 sur le licenciement de l’OIT.
Concernant le texte de l’OIT, son article 10 précise que les juridictions « devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée. » Mais, selon la Cour de cassation :
- le terme « adéquat » doit être compris comme réservant aux Etats signataires une marge d’appréciation
- et en fixant le barème d’indemnités qui comporte des limites par des montants minimaux et maximaux, l’Etat n’a fait « qu’user de sa marge d’appréciation ».
La contestation est-elle désormais définitivement éteinte ?
La contestation du barème d’indemnités n’a pas totalement désarmé
Certains avocats insistent sur le fait qu’il ne s’agit que d’un avis de la Cour de cassation pour dire que les conseils de prud’hommes ne sont pas obligés de le suivre. Certes, la Cour de cassation n’a émis qu’un avis, mais c’est parce qu’elle a été saisie dans le cadre de la procédure de demande d’avis, qui permet à un juge de poser à la Cour de cassation une question nouvelle, de pur droit et se posant dans de nombreux litiges. Cette procédure a pour but d’éviter que la question ne soit tranchée qu’après plusieurs années dans le cadre d’un pourvoi en cassation.
Les tentatives d’opposition prendront du temps et sont très probablement vouées à l’échec
Si un conseil de prud’hommes ne suit pas l’avis de la Cour de cassation, en accordant des indemnités d’un montant supérieur au maximum applicable du barème, l’employeur fera certainement appel. Il serait alors très surprenant que la cour d’appel ne modifie pas le jugement pour respecter le barème d’indemnités. Et si jamais c’était le cas, un pourvoi en cassation ramènerait la décision finale devant la Cour de cassation, qui bien évidemment suivrait l’avis qu’elle a elle-même donné.
La seule voie restante devrait être de saisir la Cour européenne des droits de l’homme, après avoir épuisé les autres voies de recours.
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Article rédigé par Pierre LACREUSE, Sciences-Po Paris, licence en droit et DESS Université de Paris I Panthéon- Sorbonne, ancien Directeur de la Gestion du personnel et des Relations Sociales, DRH, puis chef d’entreprise (PME), aujourd’hui Editeur juridique et relations humaines sur internet.
Accès au barème d’indemnité prud’homale
Sources : Avis n° 15012 et n° 15013 du 17 juillet 2019 – Formation plénière de la Cour de cassation pour avis ; Note explicative de la Cour de cassation relative aux avis n° 15012 et 15013 du 17 juillet 2019.
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