Licenciement économique, invalidité et différence de traitement

Licenciement économique, invalidité et différence de traitement - Jurisprudence de la Cour de cassationUn salarié bénéficiant d’une pension d’invalidité peut-il subir une différence de traitement dans l’attribution d’une indemnité additionnelle de licenciement économique ? Durant une procédure de licenciement économique, un employeur est-il dans l’obligation de prendre en compte les préconisations du médecin du travail exprimées à l’issue d’une visite de reprise ?

Une jurisprudence de la Cour de cassation a répondu à ces deux questions.

Le contexte du licenciement économique, de l’invalidité et la différence de traitement

Un salarié, exerçant depuis 24 ans les fonctions d’opérateur de fabrication, a été arrêté pour maladie à compter du 21 février 2003, puis classé en invalidité deuxième catégorie à compter du 1er janvier 2005.

Par une lettre du 17 février 2006, ce salarié a été informé de la teneur d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Le 21 février, l’employeur lui a envoyé une proposition de reclassement interne et le 23 février la proposition d’un emploi externe. Le salarié n’a pas donné suite à ces deux propositions.

Par lettres des 21 et 30 mars 2006, le salarié a demandé à passer la visite médicale de reprise du travail. Par lettre du 10 avril 2006 il a été licencié pour motif économique.

Quatre jours plus tard (alors qu’il se trouvait en période de préavis), le médecin du travail l’a déclaré inapte temporaire à tout poste dans l’entreprise, puis le 2 mai, à l’issue de la seconde visite médicale, inapte à tout poste dans l’entreprise et dans une autre entreprise.

En raison de sa pension d’invalidité, le salarié n’a pas bénéficié de l’indemnité additionnelle de licenciement.

Le salarié conteste son licenciement et la différence de traitement concernant l’indemnité

A la suite de son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud’homale pour demander une indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que des dommages et intérêts pour avoir été discriminé en ce qui concerne l’indemnité additionnelle de licenciement.

L’arrêt de la cour d’appel

L’arrêt de la cour d’appel a dit :

  • que le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse, du fait que l’employeur avait manqué à son obligation de reclassement pour n’avoir pas tenu compte de l’aptitude éventuelle du salarié à reprendre un emploi, ni attendu que le médecin du travail se prononce sur celle-ci. L’employeur a été condamné par suite à verser des dommages-intérêts à ce titre, ainsi qu’à rembourser les allocations de chômage dans la limite de six mois ;
  • que l’exclusion du salarié du bénéfice de l’indemnité additionnelle de licenciement ne constituait pas une mesure discriminatoire et qu’elle le déboutait de sa demande de dommages-intérêts de ce chef.

(arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 1er juillet 2010).

L’arrêt de la cour d’appel ayant déçu les deux parties, le salarié et l’employeur  ont l’un et l’autre formé un pourvoi devant la Cour de cassation. Du fait de leur connexité, la Cour de cassation a joint les deux pourvois.

Le pourvoi du salarié

Le salarié a notamment contesté l’arrêt de la cour d’appel validant son exclusion du bénéfice de l’indemnité additionnelle de licenciement, avec les arguments suivants :

1° Selon le salarié, pour qu’un PSE comporte des mesures réservées à certains salariés, il faut que tous les salariés de l’entreprise placés dans la même situation aient la possibilité de bénéficier de l’avantage accordé dont les règles d’attribution doivent être préalablement définies et contrôlables. Ainsi, selon lui, un PSE ne saurait exclure du bénéfice d’une indemnité additionnelle de licenciement les seuls salariés en invalidité ou en préretraite.

2° Selon le salarié, la cour d’appel a statué par des motifs insusceptibles de justifier leur décision en estimant, pour exclure toute discrimination, que les représentants du personnel « avaient fait preuve d’opiniâtreté dans la défense des intérêts des salariés et qu’ils avaient validé le plan de sauvegarde de l’emploi et ses annexes en connaissance de cause d’autant qu’ils étaient assistés d’un conseil et que l’Inspection du travail n’avait rien relevé ».

Le pourvoi de l’employeur

L’employeur a contesté l’arrêt de la cour d’appel en ce qu’elle a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse avec ses conséquences en termes de dommages-intérêts et de remboursement des allocations de chômage, avec les  arguments suivants :

1° Selon l’employeur, lorsque le licenciement d’un salarié est économique, l’obligation de reclassement à laquelle est tenu l’employeur s’apprécie conformément aux dispositions régissant ce type de licenciement et non à celles gouvernant le licenciement pour inaptitude. Selon lui, peu importe que le salarié ait demandé à passer une visite de reprise quelques jours avant son licenciement économique ; l’employeur, avant de licencier un salarié pour motif économique, n’a pas à attendre que le médecin du travail se soit prononcé sur l’aptitude du salarié.

2° L’employeur ne peut pas prendre en compte l’état de santé d’un salarié dans ses décisions ; la cour d’appel, toujours selon l’employeur, n’aurait donc pas dû lui reprocher de n’avoir pas tenu compte de l’état de santé du salarié dans ses offres de reclassement.

La Cour de cassation rejette les deux pourvois

La Cour de cassation rejette le pourvoi du salarié

La Cour de cassation a considéré que la cour d’appel « ayant retenu que les salariés qui bénéficient d’une pré-retraite ou d’une pension d’invalidité se trouvent, après leur licenciement, dans une situation de précarité moindre que les salariés en activité qui perdent, après la rupture de leur contrat de travail, l’intégralité de leur salaire et donc l’essentiel de leurs revenus, [elle] a pu décider que la différence de traitement était justifiée ».

La Cour de cassation a donc considéré que les arguments du pourvoi du salarié n’était pas fondé.

La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur

La Cour de cassation a considéré  « que, dès lors qu’il a connaissance du classement en invalidité deuxième catégorie d’un salarié au moment d’engager la procédure de licenciement pour motif économique ou pendant son déroulement, l’employeur est tenu, après avoir fait procéder à une visite de reprise, de lui proposer une offre de reclassement qui prenne en compte les préconisations du médecin du travail exprimées à l’issue de cette visite ».

La Cour de cassation a ensuite relevé « que la cour d’appel, qui a constaté que, bien qu’ayant connaissance du classement du salarié en invalidité deuxième catégorie, l’employeur lui avait proposé une offre de reclassement sans que le médecin du travail, sollicité par le salarié, ait pu se prononcer définitivement sur son aptitude, en a déduit à bon droit qu’il avait ainsi manqué à ses obligations ».

La Cour de cassation a donc considéré que les arguments du pourvoi de l’employeur n’était pas fondé.

L’arrêt de rejet des deux pourvois

Par ces motifs, la Cour de cassation a rejeté les pourvois du salarié et de l’employeur (Cour de cassation, chambre sociale, 5 décembre 2012, N° : 10-24204 et 10-24219).

Conclusion : 

1) Des salariés bénéficiant d’une pension d’invalidité ou d’une pré-retraite seront, après un licenciement, dans une moindre précarité que leurs collègues en activité perdant leur salaire.

Une juridiction prud’homale peut donc reconnaître la légitimité d’une différence de traitement en matière d’attribution d’une indemnité additionnelle de licenciement.

2) A partir du moment où un employeur a connaissance de l’invalidité de deuxième catégorie d’un de ses salariés, durant une procédure de licenciement économique, il se retrouve dans l’obligation, après avoir fait procéder à une visite de reprise, de proposer au salarié concerné une offre de reclassement prenant en compte les préconisations du médecin du travail exprimées à la suite de la visite de reprise.

Une juridiction prud’homale, constatant qu’un employeur, bien qu’ayant connaissance du classement du salarié en invalidité deuxième catégorie, lui avait fait une offre de reclassement sans que le médecin du travail (pourtant sollicité par le salarié) ait pu se prononcer définitivement sur son aptitude, en a valablement déduit que l’employeur avait manqué à ses obligations.

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Article rédigé par Pierre LACREUSE, Sciences-Po Paris, licence en droit et DESS Université de Paris I Panthéon- Sorbonne, ancien Directeur de la Gestion du personnel et des Relations Sociales, DRH, puis chef d’entreprise (PME), aujourd’hui Editeur juridique et relations humaines sur internet.

Sources : Jurisprudence de la Cour de cassation legifrance.gouv.fr.

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